Contrôle de l'utilisation des biens par la CEDH : le refus de restituée une somme confisquée pendant une procédure pénale est-elle compatible avec l'article 1 du Protocole no 1 ?

CEDH, 11 mai 2023, Zaghini c. Saint-Marin : absence de violation de l'article 1 du Protocole n° 1

Dans cette affaire examinée par la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), découvrez le résumé d'un cas de contrôle de l'utilisation des biens et de confiscation d'une somme d'argent liée à des poursuites pour blanchiment d'argent.

La CEDH a analysé la légalité et la proportionnalité de la confiscation, ainsi que les possibilités du requérant de faire valoir ses arguments devant les autorités compétentes.

I. Résumé de l'arrêt

La CEDH a récemment examiné une affaire de contrôle de l'utilisation des biens portant sur la confiscation d'une somme d'argent suite à des poursuites pour blanchiment d'argent.

Les autorités italiennes avaient demandé l'assistance de Saint-Marin dans cette affaire. Après une condamnation en première instance en 2005, la confiscation a été confirmée en appel en 2008.

En 2016, les poursuites pénales contre le requérant ont été déclarées prescrites en Italie, et la restitution des sommes saisies a été ordonnée.

Malgré cela, le requérant n'a pas pu récupérer l'argent saisi à Saint-Marin.

La CEDH a jugé que la confiscation avait une base légale et poursuivait un but légitime, à savoir la lutte contre le blanchiment d'argent.

Elle a également estimé que la confiscation était proportionnée, compte tenu des éléments de preuve disponibles.

De plus, la Cour a noté que le requérant n'avait pas contesté la saisie au moment où elle a eu lieu et n'avait pas demandé à être entendu dans le cadre de la procédure pénale.

Elle a conclu que le requérant avait eu une possibilité raisonnable de faire valoir ses arguments devant les autorités compétentes, même si l'article 1 du Protocole n° 1 ne garantit pas explicitement cette possibilité avant la mise en place de la mesure de confiscation.

En fin de compte, la CEDH a statué à l'unanimité qu'il n'y avait pas eu violation de l'article 1 du Protocole n° 1 dans cette affaire de confiscation.

II. Analyse de l'arrêt par rapport au droit des biens protégé par la CEDH

En 2003, des poursuites pénales ont été engagées en Italie contre le requérant pour fraude fiscale. Les autorités italiennes ont demandé l'assistance de Saint-Marin pour mener des enquêtes sur les biens du requérant et d'autres personnes impliquées.

Une somme d'argent de 1 892 700 euros a été saisie dans un coffre-fort appartenant à une des personnes impliquées.

En 2005, les trois co-accusés, y compris le père du requérant, ont été reconnus coupables en première instance et condamnés à des peines d'emprisonnement avec sursis, et la confiscation de la somme saisie a été ordonnée.

Cette décision a été confirmée en appel en 2008.

En 2016, les poursuites pénales contre le requérant en Italie ont été déclarées prescrites, et la cour d'appel de Bologne a ordonné la restitution des sommes saisies.

Cependant, le requérant n'a pas pu récupérer l'argent saisi à Saint-Marin malgré ses demandes devant les autorités compétentes.

La Cour européenne des droits de l'homme a examiné l'affaire à la lumière de l'article 1 du Protocole n° 1, qui concerne le droit au respect des biens.

La Cour a conclu ce qui suit.

1. La requête est recevable

La Cour se penche d'abord sur l'épuisement des voies de recours internes qui oblige les requérants à utiliser d'abord les voies de recours nationales et qui dispense les Etats de répondre devant une instance internationale aussi longtemps qu'ils n'ont pas eu la possibilité de traite le problème par le biais de leur propre système juridique.

L'obligation d'épuisement préalable des voies de recours internes exige d'un requérant qu'il utilise normalement les voies de recours disponibles et utiles, ces recours devant être disponibles non seulement en théorie mais aussi en pratique, faute de quoi ils manqueront de l'accessibilité et de l'effectivité requises.

En revanche, il n'y a pas d'obligation de recourir à des voies de recours inadéquates ou inefficaces.

La Cour note que, dans de précédentes affaires contre Saint-Marin, elle a déjà jugé que la procédure de révision s'analysait en un recours extraordinaire et qu'ii n'avait donc pas besoin d'être épuisé . En l'espèce, la procédure de révision n'était en tout état de cause pas ouverte au requérant qui n'avait pas été partie à la procédure pénale, or la procédure de révision n'est ouverte qu'à la personne poursuivie ou au procureur.

Le simple fait que le juge de l'exécution ait suggéré que le requérant aurait dû tenter un tel recours n'est pas suffisant, ni le fait que le juge des recours extraordinaires ait étendu sa compétence " ratione materiae " aux cas où il y avait eu une " injustice substantielle liée à un jugement définitif en contradiction avec les droits fondamentaux de l'homme " car cela ne suppose pas pour autant qu'il aurait également étendu sa compétence " ratione personae " à des justiciables n'ayant pas le droit d'introduire un tel recours aux termes explicites de la loi.

Par ailleurs, la Cour rappelle qu'un requérant n'est pas obligé de recourir à des voies de droit inadéquates ou inefficaces, dont l'exercice aurait de surcroît des conséquences sur l'identification de la " décision définitive " à prendre en compte pour le calcul du délai de six mois.

En l'espèce, la Cour observe que la confiscation en cause coïncidait avec la somme précédemment saisie à titre préventif à la fois à la demande d'une juridiction d'un autre Etat et dans le cadre des enquêtes pénales menées à Saint-Marin.

La juridiction étrangère a levé sa demande de saisie plus de dix ans après sa mise en place et c'était la première fois qu'un tel cas de figure se produisait à Saint-Marin, il n'existait donc pas d'exemples pertinents indiquant avec certitude quelles voies de recours pouvaient être suivies par le justiciable. Sur la base de l'arrêt de la Cour d'appel de Bologne, le requérant a tenté d'obtenir la libération des sommes saisies devant le juge de la coopération internationale. Ce dernier constata qu'il n'était pas possible de faire droit à la demande, ces sommes ayant été confisquées entre-temps à la suite d'un jugement pénal définitif à Saint-Marin.

En conséquence, le requérant a tenté de contester - devant le juge de l'exécution - la confiscation qui faisait obstacle à la restitution des sommes saisies. Cette juridiction a examiné le bien-fondé de sa demande à plusieurs reprises. Par conséquent, il ne semble pas que cette dernière voie ait été empruntée en dehors des délais nationaux applicables à l'introduction de telles actions. En effet, la procédure devant le juge de l'exécution n'a pas été rejetée au motif qu'elle était tardive ou répétitive. Il n'apparaît pas non plus que le juge de l'exécution n'était pas compétent pour évaluer la demande du requérant.

En l'absence de toute indication, par le biais d'une interprétation judiciaire du droit interne pertinent, sur les recours à exercer dans une telle situation, on ne saurait dire que le requérant a délibérément tenté de différer le délai fixé à l'article 35 § 1 en recourant à des procédures inappropriées qui ne pouvaient lui offrir aucun recours effectif pour le grief litigieux.

Ainsi, on ne peut pas reprocher au requérant d'avoir tenté deux voies de recours ultérieures avec les appels respectifs et la Cour admet que la dernière décision interne rendue dans l'affaire du requérant est celle du 18 septembre 2020, notifiée au requérant le 25 septembre 2020 et sa requête du 7 janvier 2021 a respecté le délai de six mois.

2. La mesure est une ingérence dans l'article 1 du Protocole no 1

Quant à la question de savoir sous quel angle de l'article 1 du Protocole no 1 l'ingérence litigieuse doit être examinée, la Cour rappelle sa jurisprudence selon laquelle une mesure de confiscation, même si elle implique une privation de biens, constitue néanmoins un contrôle de l'usage des biens au sens du second paragraphe de l'article 1 du Protocole no 1.

Dans certaines affaires, lorsque la confiscation impliquait un transfert permanent de propriété et que le requérant n'avait aucune possibilité réaliste de récupérer ses biens, la Cour a estimé que les mesures en question s'analysaient en une privation de propriété.

En l'espèce, la Cour de laisser cette question ouverte car il n'est pas nécessaire de la trancher pour la solution du litige.

3. La mesure était proportionnée, avait une base légale et poursuivait un but légitime

La confiscation était proportionnée car la preuve selon la prépondérance des probabilités ou une forte probabilité d'origine illicite était suffisante, combinée à l'impossibilité de prouver le contraire. La décision de confisquer la somme saisie était le résultat d'une appréciation judiciaire basée sur les éléments de preuve disponibles.

La confiscation de la somme d'argent avait une base légale et poursuivait un but légitime, à savoir la lutte contre le blanchiment d'argent, qui menace l'État de droit.

4. La mesure n'avait pas été contesté utilement

Le requérant n'avait pas contesté la saisie de l'argent au moment où elle a eu lieu, et il n'avait pas demandé à être entendu dans le cadre de la procédure pénale. L'article 1 du Protocole n° 1 n'exige pas que les "propriétaires réels" aient une possibilité de faire valoir leur point de vue avant la mise en place de la mesure de confiscation.

Le requérant n'a pas non plus contesté la décision de confiscation dans les délais appropriés et a attendu neuf ans pour le faire. Les juridictions internes ont examiné ses demandes et y ont répondu de manière non arbitraire.

Conclusion : pas de violation du droit aux biens

En conclusion, la Cour a statué à l'unanimité qu'il n'y avait pas eu violation de l'article 1 du Protocole n° 1 dans cette affaire.

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